dimanche 6 juillet 2014

L'hypothèse monde


Que restera t’il de ce printemps 2014 dans le monde de la culture et globalement dans la société ? Au delà d’un mouvement hors norme, c’est toute la population qui doit se questionner sur la transformation d’un monde à bout de souffle.

La force du mouvement des artistes et des techniciens réside dans 4 atouts qu’il sera important d’analyser :
- le sérieux de contre propositions unitaires et mobilisatrices écrites par un comité de suivi fondé dès 2003.
- l’horizontalité de la mobilisation et la légitimité des assemblées générales de terrain
- la volonté continue d’élargir les motifs de luttes : dans un double mouvement vers tous les précaires et autour de la défense de la vie artistique.
- la libération de la parole, l’accélération d’une sorte d’auto-formation des militants (soucieux de ne pas oublier 2003), des actions “coup de poing” symboliques et radicales.

Assurément la grève, notamment au “Printemps des comédiens” aura aussi était un accélérateur de mobilisation. Elle reste l’outil ultime et complexe d’une profession qui souhaite inverser un rapport de force. La lettre de mission signé par Manuel Valls pour cadrer le travail du triumvirat qui a en charge d’aboutir à une nouvelle rédaction des annexes 8 et 10 est le symbole d’un recul du gouvernement. En effet, le 1er ministre affirme l’importance de la solidarité interprofessionnelle, la légitimité du comité de suivi et des coordinations, et appelle à ce que toute la profession soit consultée. Il va sans dire que le début du quinquennat Hollande pousse les intermittents à la vigilance et à ne pas relâcher leur mobilisation. Mais le rapport de force a bougé, c’est un fait !

Et maintenant, que faire ? Les salariés du In d’Avignon ont voté à une très large majorité pour la tenue d’un “festival militant” et un texte collectif issu des artistes et techniciens du In, “l’hypothèse d’Avignon”, interroge : “peut-­être avons nous moins besoin, en cet instant précis, de lâcher nos dernières forces dans un affrontement destructeur que de prendre de nouvelles forces au contact les uns des autres.”. Il appelle à ouvrir des espaces de paroles et à ce qu’Avignon soit “le terrain d’une expérience ponctuelle”.

C’est un désir légitime porté par un constat concret : il faut tenir sur le long terme. Les questions qui se posent aux militants du secteur artistique sont les mêmes que pour l’ensemble des militants : Comment agir et décider ensemble ? Comment élargir la mobilisation ? Comment faire face à un ennemi qui ne dit pas son nom ? Comment être porté par l’espoir quand tout semble nous ramener vers le passé ?

L’objet même de ce mouvement concerne toute la société. Dans un pays où s’accumule les richesses, pourquoi ne pas inventer un dispositif, multiforme, qui s’adapte à la discontinuité de l’emploi, aux temps de formations, vaincre la précarité et donner de la force aux salariés face à des employeurs tournés vers leur seul profit. Il est grand temps de penser un revenu universel qui assure à chacun une vie digne. C’est une perspective qui doit être mise en débat dans la société, chez les salariés précaires, les chômeurs, afin qu’elle devienne un mot d’ordre mobilisateur et unitaire.

Ce mouvement ouvre aussi sur l’importance des arts dans nos vies. Il est primordial de ne pas cacher les contradictions d’un secteur soumis à une double injonction de la société : le marché et la commande publique. La créativité est souvent aspirée par des logiques de rentabilité. Par exemple, combien de mairies osent refuser la loi de l’offre et de la demande dans l’achat de programmation et remettre les boites de production à leur place ? Combien d’artistes refusent le jeu fou de la montée exponentielle des prix ?
La place croissante des collectivités locales dans le financement de la culture s’accompagne de manière inquiétante d’une instrumentalisation des programmations et des projets artistiques. Comment construire l’indépendance des lieux, l’articulation entre vie artistique et éducation populaire ? Comment réinventer collectivement le partage des richesses dans un secteur qui n’en manque pas ? Ces questions, et bien d’autres, doivent à présent faire irruption dans le débat citoyen. Elles dépassent très largement les seuls professionnels. La place que l’on réserve à l’art, à la parole citoyenne et au savoir est un marqueur du monde que nous souhaitons construire.

L’hypothèse que nous faisons est qu’il est temps de faire “politique” en utilisant toutes les formes d’actions citoyennes, en valorisant les alternatives qui se cherchent, en oeuvrant à une cohérence éthique et humaniste. Les urgences du moment nous appellent tout autant à sauver la planète qu’à sauver notre part d’humanité. Les espaces de rencontres créés lors de cet Avignon 2014 ne seront pas un baroud d’honneur s'ils ouvrent sur le monde à inventer ensemble, s’ils rassemblent publics et professionnels autour d’une alternative citoyenne. Nous faisons l’hypothèse monde.

Laurent Eyraud-Chaume, comédien, Ensemble !

Du courage qu’il nous faut... du temps qu’il nous reste.



Passé la course effrénée et joyeuse du quotidien, d’un goûter d’anniversaire aux courses, d’une lessive à un repas de famille, la vie est ainsi faite qu’il faut choisir sans cesse. Est-ce la maladie du siècle de ne pas souhaiter se décider ou la dialectique de la vie qu’il faut savoir dompter ? Je trouve les montres cruelles et les agendas tout autant. 

Je ne suis que peu impliqué dans le combat que mènent les artistes et les techniciens. Leur juste lutte montre avec panache l’urgence d’un horizon d’après le salariat et la centralité pour nos vies des arts et de la culture (j’y reviendrai sans doute dans un prochain numéro.) A l’inverse de 2003, je n’ai pas organisé d’actions coup de poing ni passé des heures de discussions pour convaincre des amis. Pourtant ce combat-là est bien la suite de celui de 2003. Les choses ont pourtant changé dans le pays et les ressorts de chaque implication ont quelque chose de caché, d’intime et de pourtant bien collectif. 

J’ai tenté à ma manière de mener un combat sur le terrain que les gens appellent la “politique”. Les élections municipales m’ont passionnées. Elles mêlent l’agir en commun, la transformation du réel et la difficulté à ramener aux enjeux généraux. Cette élection et celle qui a suivi m’ont laissé dans une grande colère contre le pouvoir en place, contre ce qu’il fait de la “gauche”, une grande lassitude aussi face à nos incapacités chroniques à faire simplement mouvement. 

En filigrane, nous avons construit un spectacle autour des coopératives. Durant des semaines nous avons cherché le mot juste, l’histoire simple pour dire le quotidien dans un entreprise. Nous avons tenté de faire naître un désir, une réflexion, sans apporter de solutions clefs en mains. Nous essayons d’être de ce monde là pour oeuvrer à sa transformation, un basculement sensible vers le futur. Voilà pourquoi nous avons créé cette Coopérative, pour être avec des milliers d’autres sur un chemin. 

Et chaque jour, à chaque rencontre, dans chaque article lu, cette détresse, ce glissement : comment finir le mois ? comment organiser les études du dernier ? comment tenir avec ce patron et tenter d’avoir une retraite décente ? comment organiser les gardes ? lutter contre la maladie ? 

Et cette peste immonde, cette peur du voisin qui ne se cache plus... comment choisir ces combats ? Comment choisir ? 

Nous jouerons notre spectacle à Avignon. D’abord parce que faire grève contre nous-même n’a pas grand sens. Ce serait même un peu suicidaire pour notre petite entreprise. J’incline aussi à penser qu’il est grand temps de passer aux solutions et que notre conte d’aujourd’hui est écrit pour demain. 

Ce qui effraie Valls, Juncker, Merkel et compagnie, c’est quand nous rêvons à voix haute d’un futur sans eux. La subversion révolutionnaire n’est pas dans la révolution mais dans le but qu’elle se fixe. Il n’y a d’ailleurs pas de révolution sans but. Aujourd’hui, il faut lutter pour se défendre mais il faut aussi que nous parlions du futur. Parlons revenu universel, conquête de nouveau “communs”, gratuité, coopératives, sobriété joyeuse, démocratie active… Pour celà il faudra bien une ou deux révolutions, reprendre la main sur nos vies et nos entreprises, faire vivre dès à présent des foyers de futur, les défendre, les valoriser, les questionner… 

Les luttes de juin amènent celles de juillet et ainsi de suite...oeuvrons à les unir afin que quand demain nous choisirons nos combats, il n’y aura plus de doute : celui-ci est un bout des autres ! 

* Laurent Eyraud-Chaume.